PAROLE D’EXPERT

Éric Delcroix, dirigeant ED Productions

Éric Delcroix est spécialiste du web 2 et des réseaux et médias sociaux, de l’identité numérique et de la e-réputation dans le secteur de l’e-éducation, du e-marketing, des contenus. Il conseille les entreprises dans les nouveaux métiers autour du community management, de la curation de contenu.

En complément de ses activités d’auteur, de conférencier, de consultant, il est le fondateur des rencontres Blog en Nord, et des journées du contenu web en mars à Lille.

Lorsque vous formez les entreprises sur l’utilisation d’internet, rencontrez-vous des difficultés particulières?

Les Français n’ont pas compris qu’il est nécessaire d’avoir une présence globale sur internet. Il existe une multitude d’articles sur le web qui sont très pédagogiques mais il y a aussi une désinformation généralisée des médias à ce sujet, en France. On parle beaucoup des «dangers» d’internet.

Par exemple, ma fille a assisté dernièrement à l’école à une formation qui a été donnée par la gendarmerie. Elle en a conclu qu’«il ne faut pas aller sur internet car c’est dangereux»! Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de stimuler les jeunes sur les atouts d’internet.

On parle souvent des risques, par exemple avec Facebook, sans parler des bénéfices qu’apportent ces réseaux sociaux qui sont supérieurs aux dangers possibles. Lorsque j’en parle aux entreprises, dans mes séminaires ou mes conférences, les responsables des ressources humaines viennent me voir pour dire : «Oui mais, et notre réputation, qu’est-ce qu’on va dire sur nous?»

Vous semblez évoquer un problème de retard culturel dans les entreprises. Pourtant beaucoup d’entre elles sont très actives sur internet?

En réalité, en France, de nombreux dirigeants d’entreprise sont issus du monde du «print», de l’imprimerie. J’ai vu de nombreuses aberrations. Malgré les conseils qui leur sont donnés, les conférences auxquels ils assistent, les informations et les outils disponibles sur internet, les gens continuent de penser qu’internet, c’est facile, il n’y a qu’à ouvrir sa page Facebook pour avoir 100 000 visiteurs…

C’est un problème de génération. Les jeunes qui appartiennent à la génération 18/24 ans, n’ont connu qu’internet, les objets connectés, etc. Exemple : Snapshat.

Ils ne communiquent entre eux qu’à travers des images, les textes commencent à disparaître, ils sont dans un autre univers et ces jeunes vont arriver dans les entreprises sans rien comprendre à ce monde qui ne leur correspond pas. Ils ne maîtrisent évidement pas la manière de communiquer avec les autres parce qu’ils ne communiquent pas de la même façon que leurs aînés.

Ils ont des manières de fonctionner hyper productives, ils se forment eux-mêmes mais ils ne maîtrisent évidement pas la manière de communiquer avec les autres. Aussi sont-ils surpris quand leurs interlocuteurs ne réagissent pas aussi vite qu’eux. Ils ne savent pas assez bien ce qui se passe autour d’eux.

Nous assistons à un changement fondamental de paradigme dans la communication. On le voit avec Pinterest. Ils ont tout compris de Pinterest.

Peut-on dire que les dirigeants de PME ont encore du mal à saisir le potentiel du web en France?

C’est un problème. Ils disent : «ça ne me concerne pas, ça concerne les jeunes qui viendront après moi.» Ou alors, s’il y a quelque chose à faire sur internet, ils le confient à leur secrétaire. Cela me rappelle l’avènement de la PAO qui a bouleversé l’univers du graphisme.

À cette époque, de nombreuses entreprises ont fini par disparaître car elles n’étaient plus dans la course avec l’arrivée de la technologie. Pourtant, les imprimeurs disaient : «On a le temps de voir venir, je serai à la retraite à ce moment-là, ça ne me concerne pas.» Quelques années plus tard, de nombreuses entreprises dans ce domaine ont fermé, c’était trop tard.

Les métiers et les activités changent sous l’impulsion d’internet. Les gens sont bien conscients de ces changements pourtant. Prenez par exemple les salons professionnels, ils vont être transfigurés dans quelques années. Quel intérêt aurons-nous à nous déplacer dans un salon? Le système des salons professionnels doit être changé. Mais les personnes concernées continuent de dire «Oui mais ce n’est pas pour nous, c’est pour les jeunes!» Erreur. Elles n’aiment pas être remises en question.

Même constat quand je m’adresse aux commerciaux : s’ils ne suivent pas eux aussi cette évolution, s’ils restent sur leur position, ils sont voués à l’échec. La formation des vendeurs en magasin, par exemple, est inadaptée, c’est une catastrophe, cela date de quinze ans. Tous les milieux sont concernés. 60 à 70% de nouveaux métiers vont apparaître bientôt, on ne sait pas encore de quels métiers il s’agira.

Dans la communication BtoB, je constate les mêmes vieux réflexes, le même retard. L’utilisation des outils n’a pas évolué. Je prends un autre exemple : en France, les entreprises craignent de diffuser des images dans les réseaux sociaux. Les Français n’aiment pas partager leurs informations. On a peur. Beaucoup de sociétés ne diffusent pas leur logo. Pourquoi? Parce qu’elles craignent que leur logo soit détourné. Cela montre que l’on se tient sur son arrière-garde… En ce qui concerne la diffusion d’informations écrites, vous savez ce que l’on me répond? « Que voulez-vous qu’on raconte?»…

Que préconisez-vous pour contribuer à faire évoluer cet attentisme général?

Changer d’état d’esprit. Faire table rase du passé, en allant voir ce qui se passe ailleurs, comment on communique ailleurs, en suivant les jeunes, en observant comment ils fonctionnent, comment ça marche. Les réseaux sociaux, il faut apprendre à les exploiter. Avant de publier dedans, il est nécessaire d’avoir une stratégie de communication. Les outils interagissent entre eux. Il est donc indispensable de bien penser sa communication. Les jeunes ont une stratégie même s’ils n’en ont pas conscience. C’est naturel chez eux. Ils ont acquis leurs réflexes très tôt.

Propos recueillis par Pierre Vican.