Expert en marketing et communication BtoB, consultant, auteur à succès, enseignant à ses heures, tour à tour Chief Marketing Officer et Chief Digital Officer, Bertrand Jouvenot signe un cinquième livre : « Le digital à toutes les sauces ».                                                                                                           

Bonjour Bertrand Jouvenot. Où vous situez-vous dans le monde des spécialistes du marketing et de la communication BtoB?

Bertrand Jouvenot, expert en marketing et communication BtoBLe digital a bouleversé le marketing : accélération du rythme, mutations des compétences, prolifération de nouvelles techniques, hybridation des métiers, invasions technologiques, apparition de nouveaux formats d’expression, naissance de nouveaux usages, arrivée de nouvelles opportunités de mesure, émergence de nouveaux KPI, quête plus systématique de ROI… Les simples mots qui figurent dans ces lignes se démoderont aussi vite qu’ils sont apparus.

En conséquence, les directions marketing classiques ont vu leur métier radicalement se transformer à l’heure du digital. Ils sont allés du marketing traditionnel vers le digital.

Pour ma part, j’ai parcouru le chemin inverse. Un démarrage dans le digital il y une vingtaine d’années m’a permis de conserver une longueur d’avance. Avec le digital comme fil conducteur de ma carrière, j’ai occupé des postes clés et effectué une montée en compétences dans les métiers les plus impactés par le web et qui se nourrissent historiquement de marketing (communication, distribution, produit, relation clients, image…). En somme, je suis allé du digital vers le marketing.

Aujourd’hui, fort d’une capacité et d’une rapidité d’adaptation, je capitalise sur un large socle d’expériences et de compétences acquises dans des secteurs complémentaires (digital, téléphonie, distribution, mode, luxe), au sein d’univers variés et de cultures d’entreprise très différentes, pour réaliser des missions de conseil, écrire des livres, enseigner.

Avez-vous le sentiment d’une « mission » qui vous motive pour le marketing ?

Si je devais définir ma « mission », à travers la richesse des expériences et des échanges avec mes clients, je dirais qu’elle est tout à la fois de :

Ré-assurer l’entreprise sur ce qu’elle est, sa mission première, son ADN. La réconforter. Lui réapprendre à s’apprécier à sa juste valeur. L’obliger à se regarder dans le miroir et à admettre que si elle n’est pas un pure player du digital ou une licorne, ce n’est ni une honte, ni un drame. La méthodologie de la boussole de marque, que j’ai développée et utilisée chez plusieurs de mes clients, est à ce titre un exercice salutaire.

En s’obligeant à retrouver son ADN, en approfondissant les quatorze facettes de sa marque, l’entreprise réalise souvent combien elle est mieux prédisposée et mieux armée qu’elle ne l’imaginait, pour aborder sereinement la révolution digitale.

Opérer la symbiose entre des cultures différentes : les millenials et leurs ainés, les start-up et les grands groupes, les experts digitaux et les non-experts, les prestataires digitaux et les collaborateurs internes, etc.

Mettre le digital au service de l’entreprise et non le contraire. Le discours ambiant est teinté de radicalité, de frénésie, voire d’extrémisme. Il est sans aucune demi-mesure. On est dans l’air, non plus du « marche ou crève » mais du « click ou crève ». Plus une journée ne se passe sans que l’on nous annonce la disparition, à court terme et en masse, de nos emplois tels que nous les avons connus, la mort des entreprises du CAC 40, la fin des Fortunes 500, notre remplacement par des intelligences artificielles, etc.

Qu’on le veuille ou non, une entreprise comprend des humains dont les capacités d’adaptation ne sont pas infinies. J’ai publié un article en ce sens d’ailleurs, intitulé : « La reconversion professionnelle 2.0 reste à inventer ».

Décrypter ce qui se passe dans l’écosystème de l’entreprise. D’un côté, le cours, d’une quarantaine d’heures, consacré aux fondamentaux du marketing, que je dispense à une promotion exclusivement chinoise depuis six ans, s’avère un très bon exercice pour réviser et revisiter les fondamentaux du métier, pour ne surtout pas les oublier, alors que le discours du moment encourage à tout jeter à la poubelle, pour le remplacer par du neuf. Du neuf, qui n’est souvent qu’une réinvention de ce qui existait déjà. Certes avec des moyens nouveaux et plus puissants. Rappelons par exemple que le brand content a été inventé par la marque de bière Guinness, le fabricant de pneus Michelin, etc.

Mon blog s’inscrit d’ailleurs dans cette logique. De l’autre côté, les contacts fréquents que j’entretiens avec des entrepreneurs, des start-up, des investisseurs, des blogueurs, permettent de rester très au fait de ce qui se fait, de ce qui se passe, de ce qui se profile. Il est primordial de garder un pied dans chacun des deux mondes.

Dédramatiser. Les entreprises sont sous pression et n’ont jamais été autant challengées. L’impérieuse nécessité de se digitaliser, désormais érigée en dogme, n’arrange rien. Pourtant, il n’y a pas one best way et encore moins un chemin unique. Il importe que chaque entreprise trouve le sien. Une partie entière du Digital à toutes les sauces est consacrée à ce sujet.

La méthode de détermination du Quotient digital que nous avons conçue est à ce titre révélatrice. Lorsque nous passons une entreprise cliente au crible des presque cent items qu’elle comprend, le client en sort souvent étourdi, avec le sentiment qu’il n’a pas fait un centième du chemin à parcourir. Pourtant, s’il convient évidemment de s’intéresser à l’open innovation à l’heure du digital, ce n’est pas un crime de ne pas y recourir. Ni Apple, ni Google ne pratiquent l’open innovation.

Si les notions de MVVVP ou de PMF , dans le cadre du lancement de nouveaux produits, méritent naturellement d’être considérées, elles ne conviennent pas nécessairement à tous les types de produits ou de secteurs, même si elles n’en demeurent pas moins de très bons moyens de dégripper les esprits des équipes, de libérer des schémas de pensée, etc. Une centaine de notions de ce type sont aujourd’hui présentées comme des incontournables, des indispensables. Il convient d’aider l’entreprise à privilégier les bonnes options.

Enfin nous adorons introduire chez nos clients des méthodes, des techniques, des outils ou des approches nouvelles, afin de résoudre leurs problématiques naturellement, mais aussi de convertir les problèmes d’aujourd’hui en des opportunités pour demain.

Pour finir, notre mission est de guider. L’apprentissage des nouvelles technologies, de ses méthodes, de ses outils, n’est pas si simple. Notre expérience nous permet d’introduire des bénéfices immédiats chez nos clients. En leur évitant des faux pas. De les aider à acquérir les bons réflexes. De les encourager à se poser les bonnes questions.

Qu’est-ce que Le digital à toutes les sauces apporte de neuf dans la bibliothèque du marketing ?

Pour commencer, Le digital à toutes les sauces ne se limite pas au simple marketing mais couvre l’ensemble des dimensions de l’entreprise que le digital vient impacter : sa culture, son organisation, son management, ses process, sa stratégie, l’innovation, le marketing, le pilotage, etc.

Ensuite, c’est un livre très pratico-pratique qui fournit près d’une centaine de méthodes (de transformation digitale, de stratégie, d’innovation, de développement de produits, de marketing, de management…), à l’heure du numérique.

Les méthodes présentées ont été inventées par les pionniers du web, les entreprises les plus en pointe du moment (Google, Amazon, Apple…), les entrepreneurs les plus talentueux et les auteurs les plus influents. Le livre n’est pas une ode à son auteur mais davantage une mise en valeur des autres qui le méritent véritablement ainsi que de leurs contributions et de leurs apports.

Contrairement aux autres livres consacrés au sujet, Le digital à toutes les sauces est largement plus complet, plus 360°, plus transverse, plus holistique. Surtout, ces méthodes sont présentées comme des recettes de cuisine, assorties pour une quinzaine d’entre elles de témoignages de grandes entreprises (La Poste, Eiffage, Cofidis, Sanofi, CNP Assurances, Ipsos, Prisma…). Enfin, l’analogie entre le digital et la cuisine confère au livre un intérêt unique : attirer le lecteur avec un univers qui lui est familier (l’alimentation), l’inviter à l’action (la cuisine) et le mettre sur la voie de ce qui se fait de mieux (la gastronomie). D’où sa préface par Anne-Sophie Pic, chef cuisinier et maître restaurateur.

Quelle est votre vision de l’inbound marketing ?

Au départ, l’inbound marketing désigne le principe par lequel une entreprise cherche à ce que ses prospects ou clients s’adressent naturellement ou spontanément à elle en leurs délivrant des informations ou des services utiles (livres blancs, études de cas, infographies, tutoriels, synthèses d’études, vidéos…).

Il a d’ores et déjà conduit l’entreprise à effectuer sept progrès :
1. S’efforcer de communiquer de manière plus continue et moins calendaire, saisonnière ou séquentielle.
2. Apprendre constamment et adopter sans cesse de nouveaux formats de communication.
3. Adapter, décliner ou réinventer sa communication sur de nouveaux medias inédits comme Twitter ou Instagram.
4. Passer de l’idée d’un public cible à celle d’une audience.
5. Adopter des registres de communication plus émotionnels.
6. S’envisager désormais comme un auteur, plutôt qu’un acteur.
7. S’émanciper d’une vision très policée, très formatée, très contrôlée, très centralisée de la communication et du marketing.

A l’avenir, je pense que nous pourrions assister à plusieurs phénomènes :

Une prise de conscience – J’ai le sentiment que l’essai n’a pas encore été tout à fait transformé. Inbound marketing ou pas, aucune marque au monde n’est encore parvenue à rivaliser avec un simple individu, FewDiePie (de son vrai nom Félix Arvid Ulf Kjellberg), un Suédois qui poste des films de ses parties de jeux vidéo, qu’il agrémente de commentaires narquois, le tout avec un montage minimaliste et qui, début 2016, avait accumulé 11 milliards de vues, tandis que sa chaîne YouTube comptabilisait plus de 41 millions d’abonnés.

Un sursaut – Les agences mettent en scène les marques. Elles jouent le rôle de réalisateur, comme au cinéma. Les marques sont pour l’instant encore trop souvent cantonnées au rôle d’acteur. Il est souhaitable qu’elles se réapproprient leur propre destin. En devenant elles-mêmes réalisatrices pour elles-mêmes. A la manière d’acteurs comme Clint Eastwood ou Guillaume Canet qui passent de l’autre côté de la caméra pour se mettre eux-mêmes en scène.

Demain, nous verrons peut-être des marques enseignes comme Carrefour, Auchan, Leclerc, le Printemps, les Galeries Lafayette, Sephora… historiquement habituées à mettre en scène des marques, physiquement dans des points de vente par le biais du merchandising, passer elles aussi derrière la caméra pour faire jouer aux marques qu’elles commercialisent, de nouveaux rôles, cette fois-ci.

Une maturation – Le digital est devenu une immense caisse de résonnance, un amplificateur, dans lequel il convient d’aboyer avec les chiens. Pour qu’un message trouve un écho, il lui faut surfer sur la vague du moment. Les médias eux-mêmes sont entrés (peut-être un peu trop) dans cette logique. Or, ce qui se dit à un moment donné sur la toile ou dans la twittosphère, ne concorde pas nécessairement avec les problématiques, les objectifs ou même simplement les intérêts d’une marque.

Il est souhaitable que l’on passe du « ce qu’il faut dire » pour être vu ou entendu à tout prix, à « ce que je veux dire » en tant que marque. Certes, le discours ambiant invite les marques à se joindre à une chorale pour chanter ce qui doit l’être à un moment donné. Mais les marques sont comme les musiciens qui, pour certains, sont parfaits en solo (Lady Gaga, Céline Dion, Johnny, Eminem), meilleurs à la tête d’un groupe (Bono, Axl Roses, Bon Scott, Mick Jagger, Michael Stipe), à l’aise en duo (Rihanna, Morane), capables de quitter un groupe pour chanter seul (John Lennon, Tina Turner, Michael Jackson, Phil Collins, Morrissey…), plus à l’aise lorsqu’ils sont en retrait (Noel Gallaguer, Gail Ann Dorcey, Meg White).

Une prise de recul – Enfin, le score enregistré sur les médias sociaux ne coïncide pas nécessairement avec l’effet obtenu. Si Psy et ses 4 milliards de vues sur YouTube sont spectaculaires, il n’a pas augmenté le nombre des amis qui viendront vraiment lui tendre la main le jour où il en aura besoin. D’autres vidéos, au score bien plus modestes, ont de leur coté permis de mobiliser des individus lors de catastrophes naturelles, de sauver des vies, de susciter l’envie d’entreprendre des uns et apporté des idées de start-up aux autres, etc.

Un autre exemple, visitez ma page GoodReads et vous y verrez des livres auquel j’ai attribué le même nombre d’étoiles. Pourtant, certains m’ont parfois largement plus marqué que d’autres. Les medias sociaux fournissent des signes. Mais quelle est leur véritable signification. Et ont-ils véritablement un sens ?

Un atterrissage – Après s’être dispersées, s’être précipitées, s’être aventurées parfois un peu trop loin, les marques vont peut-être se retrouver et redécouvrir leur propre fréquence de prise de parole idéale, leur registre, leur style, leur ton, leur posture… Les déboires récurrents de Facebook se sont traduits par le report de certains investissements médias vers Instagram.

La montée en puissance des supports gigantesques comme Google, Twitter ou WeChat et Weibo en Chine, face aux groupes de communication et aux médias historiques, assignent aux marques de nouveaux choix stratégiques qu’elles regretteront peut-être un jour, comme nous l’avions démontré dans un article intitulé « Echantillon gratuit », montrant comment Facebook est parvenu à prendre en otage les plus belles marques pour mieux leur ravir leur clientèle.

Livre Bertrand JouvenotUne nouvelle posture – La pression laissera peut-être place à davantage de patience et de réflexion. L’exemple de Lindsey Kichoff et son blog How To Market To Me est salutaire. Lindsey était étudiante et, comme bien des millenials, elle se doutait qu’elle aurait le plus grand mal à trouver un job à la sortie de son université moyenne. Afin d’attirer l’attention de ses futurs employeurs potentiels, Lindsey créa un blog destiné simplement à exprimer ses réactions, positives ou négatives, face aux différentes campagnes de publicité des marques auxquelles elle était exposée.

En fédérant une immense communauté de millenials (une cible très prisée des marques) qui se joignirent à elle pour eux aussi donner leurs avis, Lindsey est parvenu à créer un véritable observatoire marketing utile aux marques. Son exemple est saisissant puisqu’il nous rappelle que le marketing n’est pas mort. Lindsey n’a fait qu’utiliser les moyens modernes, en l’occurrence un blog, pour recréer des études post-campagnes, autrement dit des études marketing clients visant à interroger des consommateurs avant et après une campagne publicitaire pour en mesurer l’effet. Les clients ont-ils changé d’avis sur la marque ? leur intention d’acheter le produit a-t-il augmenté ? etc. Un type d’études vieux comme le marketing.

Et comme nous sommes là pour parler inbound marketing, je vous offre les 75 premières pages de mon livre en téléchargement.

Propos recueillis par Pierre Vican.